Suspension de la prescription en cas d’expertise judiciaire : un rappel utile de la Cour de cassation

Si en principe, la suspension et l’interruption de la prescription ne peuvent s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, comme cela est le cas en matière de vente de l’action en garantie des vices cachés et de celle fondée sur l’obligation de délivrance conforme.

Une société ayant fait l’acquisition de moteurs défectueux a assigné le vendeur en référé-expertise sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile pour rechercher l’existence de vices rédhibitoires. Le président du Tribunal de commerce saisi a fait droit à cette demande et ordonné une expertise à l’issue de laquelle un rapport a été déposé.

Plus d’un an après le dépôt du rapport d’expertise, l’acheteur a assigné au fond le vendeur en invoquant des manquements à son obligation de délivrance conforme et à son obligation de conseil.

La Cour d’appel de Lyon a déclaré ces demandes irrecevables car prescrites, aux motifs (i) que le délai de prescription avait été interrompu par l’assignation en référé puis suspendu par le prononcé de la mesure préventive, mais (ii) que les mesures d’instruction préventives, qui visaient à rechercher l’existence de vices rédhibitoires, n’avaient pas le même objet que celui des prétentions dont les juges étaient saisis au fond sur le fondement de l’obligation de délivrance conforme et du devoir de conseil.

La Cour de cassation a cassé cet arrêt. Appliquant l’article 2239 du code civil selon lequel la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès, elle a jugé que « si, en principe, la suspension comme l’interruption de la prescription ne peuvent s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ». Elle a ensuite considéré que la demande d’expertise en référé qui avait pour objet d’identifier les causes des sinistres subis par les matériels livrés et de déterminer s’ils étaient atteints d’un vice rédhibitoire, tendait au même but que l’action en inexécution de l’obligation de délivrance conforme engagée au fond. La mesure d’instruction ordonnée avait donc suspendu la prescription de l’action au fond.

Ainsi, l’effet interruptif de prescription attaché à la demande en référé tendant au prononcé d’une mesure d’instruction préventive peut se diffuser à d’autres actions en considération du but poursuivi, et l’action rédhibitoire intentée sur le fondement de la garantie des vices cachés, qui vise la résolution du contrat, tend au même but que l’action en résolution de la vente pour inexécution de l’obligation de délivrance conforme.

L’arrêt est une nouvelle occasion de s’interroger sur l’opportunité distinguer la garantie des vices cachés et l’obligation de délivrance conforme, tant les champs d’application et les régimes de ces notions sont difficiles à distinguer.

Il est aussi l’occasion de rappeler l’attention qui doit être portée aux questions de prescription dans les contentieux impliquant des expertises et, notamment, à l’application successive d’une interruption (assignation en référé) et d’une suspension (mesure d’expertise). Etant rappelé que ces interruption et prescription ne profitent qu’au demandeur à ces mesures et non défendeurs qui ont donc tout intérêt à s’associer à la demande d’expertise, voire à assigner au fond dès l’expertise d’éventuels garants susceptibles d’être appelés en garantie. Ces actions visant seulement à interrompre le délai de prescription sont désormais courantes et les juridictions habituées à prononcer des sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la mesure d’instruction.

Référence : Cass. Civ. 2ème, 2 mars 2023, F-B, n°21-18.771.

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