Plusieurs ressortissants des Philippines ont initié une procédure d’arbitrage ad hoc concernant l’interprétation et l’exécution d’un accord conclu en 1878 entre le Sultan de Sulu et deux explorateurs européens. Cet accord qualifié par les demandeurs de « contrat de bail » et par la Malaisie d’« accord de cession de territoire et de souveraineté » avait pour objet les territoires de la côte nord de l’île de Bornéo, aujourd’hui situés dans l’Etat de Sabah en Malaisie. Cet accord prévoyait le versement annuel d’une somme de 5 000 ringgits au Sultan de Sulu et à ses héritiers. La Malaisie, ayant obtenu les droits des explorateurs lors de son indépendance de l’Empire britannique en 1963, s’est acquittée auprès des héritiers du Sultan de Sulu de la contrepartie financière portée à 53 000 ringgits jusqu’en 2013.
Dénonçant l’arrêt des paiements et invoquant un changement ayant entraîné un bouleversement de l’équilibre économique du contrat, les successeurs du Sultan ont saisi le Tribunal supérieur de justice de Madrid, en qualité de juge d’appui, d’une demande de désignation d’un arbitre unique.
Le Tribunal a fait droit à leur demande par un jugement du 29 mars 2019 et un avocat espagnol a été nommé en qualité d’arbitre unique le 22 mai 2019. En octobre 2019, la Malaisie a fait savoir à l’arbitre unique qu’elle contestait dans son intégralité la procédure arbitrale, y compris sa désignation en tant qu’arbitre unique et le siège de l’arbitrage
Par une sentence partielle rendue à Madrid le 25 mai 2020, l’arbitre unique a déclaré que le siège de l’arbitrage était Madrid. Une requête en annulation de la procédure a été déposée par la Malaisie auprès du Tribunal supérieur de justice de Madrid qui a fait droit à sa demande le 29 juin 2021.
Les successeurs du Sultan de Sulu ont saisi sur requête le président du Tribunal judiciaire de Paris, qui a déclaré exécutoire en France la sentence partielle du 25 mai 2020. La Malaisie a interjeté appel de cette ordonnance et s’est opposée à l’exécution de la sentence partielle devant la Cour d’appel de Paris.
Par une ordonnance de procédure du 29 octobre 2021, l’arbitre unique a ordonné la poursuite de l’arbitrage et, par sentence finale du 28 février 2022, a condamné la Malaisie à verser la somme de 14,92 milliards de dollar américains aux successeurs du Sultan de Sulu.
Au soutien de son recours devant la Cour d’appel de Paris, la Malaisie invoquait notamment l’incompétence de l’arbitre unique. La Cour d’appel a rappelé les principes de bonne foi et d’effet utile de la convention d’arbitrage. Conformément à la clause prévue dans l’accord, le litige devait être soumis à la « décision » ou au « jugement » du Consul général de Sa Majesté à Brunei. La Cour d’appel a considéré que la disparition de la fonction du Consul Général de Sa Majesté à Brunei rendait inapplicable la clause litigieuse ; la clause devenue caduque ne pouvait plus produire effet. Par conséquent, la Cour d’appel de Paris a infirmé l’ordonnance querellée et refusé l’exequatur de la sentence partielle.
Cet arrêt de la Cour d’appel de Paris invite à s’interroger sur l’avenir de la sentence finale rendue le 28 février 2022 condamnant la Malaisie. Cette sentence fait actuellement l’objet d’un recours en annulation, pendant, devant la Cour d’appel de Paris.
Référence : Cour d’appel de Paris, 6 juin 2023, n° 21/21386