Les tribunaux britanniques émettent des décisions contradictoires sur des « anti-suit injunctions » concernant des arbitrages CCI dont le siège est à Paris

Ces derniers mois, les tribunaux britanniques ont rendu plusieurs décisions, parfois contradictoires, relatives à des demandes d’anti-suit injunctions (« ASI »), un dispositif de common law enjoignant une partie de ne pas engager d’action contentieuse auprès de juridictions autres que celle prévue au contrat, dans des litiges impliquant des clauses d’arbitrage CCI avec siège à Paris.

Ces litiges découlent du projet de construction d’une usine de traitement de gaz naturel liquéfié en Russie et opposent RusChemAlliance (« RCA »), une joint-venture formée par deux entreprises d’État russes, aux banques Deutsche Bank et Commerzbank et à la filiale allemande de la banque UniCredit (les « banques allemandes »). A la suite de la guerre en Ukraine, la cocontractante de RCA, l’entreprise allemande Linde, a suspendu ses travaux de construction, ce qui a mené RCA à appeler les garanties souscrites par Linde auprès des banques allemandes au bénéfice de RCA pour un montant total de 776 millions d’euros. Les contrats renfermant ces garanties bancaires étaient soumis au droit anglais et contenaient une clause d’arbitrage CCI avec un siège à Paris.

Alléguant que les sanctions européennes à son encontre rendaient le recours à l’arbitrage caduc (notamment en raison de prétendues difficultés à trouver des conseils pour la représenter et à organiser une audience « juste et impartiale » à Paris), RCA a assigné les banques allemandes devant le Tribunal de commerce de Saint-Pétersbourg auquel la loi russe confère depuis juin 2020 une compétence exclusive pour résoudre les litiges impliquant des parties soumises à des sanctions internationales visant la Russie. A leurs tours, les banques allemandes ont déposé des demandes d’ASI auprès des juridictions anglaises pour empêcher la poursuite des procédures judiciaires initiées par RCA en Russie.

Les juridictions anglaises ont rendu cinq décisions à ce sujet en l’espace de deux mois.

Une première décision rendue le 21 août 2023 a rejeté la demande d’ASI provisoire sollicitée par la Deutsche Bank au motif que les tribunaux anglais n’étaient pas compétents pour émettre une telle ordonnance, du fait du choix des parties de fixer le siège de l’arbitrage à Paris et de l’impossibilité d’obtenir une ASI en droit français.

Toutefois, deux autres décisions de première instance rendues les 24 et 31 août 2023 ont accordé les ASI provisoires demandées par UniCredit et Commerzbank. A l’inverse de la première décision, les juges ont estimé que le choix par les parties du droit anglais comme droit applicable au contrat suffisait à justifier leur compétence et, sur la base de preuves différentes, ont conclu que les ASI ne heurtaient pas l’ordre public français et que les tribunaux français n’étaient pas hostiles à leur reconnaissance.

Par la suite, dans un arrêt rendu le 7 septembre 2023, la Cour d’appel a annulé la première décision refusant l’ASI demandée par Deutsche Bank. Sur la base, encore une fois, d’éléments de preuve nouveaux, la Cour d’appel a jugé que le droit français n’était pas hostile à la reconnaissance d’ASI accordées par des juridictions étrangères. Au vu de l’impossibilité d’obtenir une telle injonction en France, la Cour d’appel a déclaré les tribunaux anglais compétents pour émettre une mesure qui, selon son analyse, revenait simplement à ordonner aux parties de respecter leurs engagements inscrits dans un contrat soumis au droit anglais.

Cet arrêt aurait pu marquer la fin de ces péripéties judiciaires sans le refus subséquent d’un autre juge de première instance d’accorder l’ASI, de nature finale et non provisoire cette fois-ci, demandée par UniCredit. Par une décision du 22 septembre 2023, le juge anglais s’est déclaré incompétent en raison du siège de l’arbitrage à Paris et a estimé que l’application du droit anglais au contrat et l’impossibilité d’obtenir une ASI en droit français ne pouvaient pas justifier la compétence d’un tribunal anglais, selon lui étranger à cette affaire.

Dans toutes ces affaires, les questions centrales tiennent à la question de la loi applicable à la convention d’arbitrage, sujet sur lequel les juridictions françaises et anglaises s’opposent depuis des décennies (cf. les affaires Dallah et Kout food).

De toute évidence, nous assistons à l’émergence d’une nouvelle saga judiciaire impliquant le droit français et le droit anglais de l’arbitrage que la Cour suprême britannique sera sans doute appelée à trancher dans les prochains mois.

Pour plus d’informations, voir l’article du Global Arbitration Review à ce sujet: https://globalarbitrationreview.com/article/gazprom-venture-revealed-target-of-uk-anti-suit-injunctions 

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