Par un arrêt du 16 janvier 2024, la Cour d’appel de Paris a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l’immunité de juridiction opposée par l’Agence spatiale européenne à l’occasion d’une procédure devant les juges français.
En l’espèce, à la suite du suicide d’un ingénieur de l’Agence, la Commission de recours interne de cette dernière l’avait condamnée à verser un certain montant aux parents de la victime, au motif que son décès était lié à sa situation professionnelle et qu’il constituait un accident du travail, sans faire droit à la totalité de leurs demandes.
La famille de la victime a par la suite déposé une plainte avec constitution de partie civile devant le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Paris pour harcèlement moral, non-assistance à personne en danger, provocation au suicide et homicide involontaire.
La procédure s’est poursuivie par une demande de levée de l’immunité de l’Agence et de certains membres de son personnel ainsi que de l’inviolabilité de leurs documents. Le Directeur général de l’Agence et le Conseil de ses Etats Membres y ont répondu défavorablement.
Les parties civiles ont alors saisi la Commission de recours de l’Agence d’une requête aux fins d’obtenir l’annulation de cette décision. Cette demande a toutefois été rejetée au motif qu’elle avait été « portée devant une juridiction incompétente ».
En mai 2019, à l’issue d’un recours jugé irrecevable par la Cour européenne des droits de l’homme faute d’épuisement des voies de recours interne, les ayants-droits ont fait assigner l’Agence devant le Tribunal de grande instance de Paris. Leurs demandes tendaient notamment à ce que le Tribunal enjoigne au directeur général et au président du conseil de l’Agence de lever les immunités de l’Agence et de ses membres.
La juridiction de première instance ayant rejeté cette demande, les demandeurs ont interjeté appel, donnant lieu à l’arrêt ici commenté.
La Cour d’appel rappelle que l’immunité de juridiction, pour être compatible tant avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, qu’avec la conception française de l’ordre public international, doit prévoir un recours effectif devant une juridiction présentant la garantie d’indépendance pour connaître du litige opposant un membre de l’Agence ou ses ayants droit, avec celle-ci (rappelant la solution retenue par la CJUE dans Waite et Kennedy c/ Allemagne du 18 février 1999).
La Cour d’appel juge ainsi que l’immunité de juridiction de l’Agence et des membres de son personnel devant le Tribunal judiciaire de Paris n’est admissible au regard de ce principe que si les ayants-droits disposent d’une autre voie raisonnable pour contester le refus de levée des immunités de juridiction de l’Agence et des membres de son personnel.
Or, en pratique, la Commission de recours de l’Agence s’étant déclarée incompétente, la Cour d’appel constate que l’absence de recours contre une décision de refus de levée d’immunité de juridiction prise par le directeur de l’Agence et par le Conseil des Etats Membres est contraire à l’article 6, paragraphe 1 de la CESDH et à l’ordre public international, et rejette la fin de non-recevoir.
Par cet arrêt, la Cour d’appel illustre que le moyen issu de l’existence d’une immunité de juridiction est inopérant en l’absence d’un recours effectif.
CA Paris, Pôle 4 chambre 13, 16 janvier 2024, n° 20/17725