Au-delà des difficultés classiques d’immunité, l’exécution des sentences arbitrales contre certains États se heurte à un nouvel obstacle attendu depuis l’arrêt de la CJUE du 11 novembre 2021 : le gel de leurs avoirs sous sanctions.
La société tunisienne Siba Plast a procédé à plusieurs saisies sur divers actifs du Conseil National de Transition Libyen (CNTL) en vertu d’une sentence arbitrale du 28 novembre 2014 ayant reçu l’exequatur en France. Ces saisies portaient notamment sur les droits d’associés de la Libyan Investment Authority (LIA) dans la société Compagnie des exploitations réunies (CER) et les créances de la banque BIA sur CER ainsi que sur une société FCER.
Saisi par les sociétés CER et FCER d’une demande de mainlevée, le juge de l’exécution du Tribunal Judiciaire de Paris a rejeté la demande et confirmé les saisies.
Les sociétés CER et FCER ont interjeté appel de ce jugement.
Par un arrêt du 26 janvier 2023, la Cour d’appel de Paris a infirmé le jugement du 17 décembre 2021 et ordonné la mainlevée des mesures d’exécution pratiquées.
Sur l’immunité d’exécution, et la qualification d’émanations d’Etat des sociétés faisant l’objet des mesures d’exécution, la Cour d’appel a jugé que « [p]our que des mesures d’exécution soient mises en place à l’encontre d’une société qui est considérée comme une émanation d’un Etat, il faut rapporter la preuve de deux conditions cumulatives : d’une part sur le plan fonctionnel, une véritable ingérence, dans le cadre d’un pouvoir permanent d’orientation et de contrôle, d’autre part, sur le plan patrimonial, une confusion des patrimoines entre l’Etat étranger et son émanation. ».
Sur le premier critère, la Cour relève qu’il n’est pas contestable que la société Lafico, unique actionnaire de la société FCER, elle-même unique associée de la société CER, est détenue à 100% par la LIA, créée par l’Etat libyen en 1981 pour « faire fructifier les fonds que lui attribue le comité populaire général ». Il s’agit d’une personne morale de droit public rattachée audit comité et ses employés sont des agents publics. En outre, la Cour d’appel avait déjà eu l’occasion de qualifier la LIA et la société Lafico d’émanations d’Etat dans son arrêt du 5 septembre 2019 (non cassé sur ce chef).
Concernant les sociétés appelantes, la Cour des comptes libyenne a notamment eu l’occasion de recommander que ces sociétés soient dissoutes, ayant considéré que leur existence n’avait aucun intérêt, ces sociétés n’ayant aucune activité autre que la détention de l’immeuble exploité par la Fnac.
Le premier critère de pouvoir permanent de contrôle est donc rempli.
Sur le second critère, la Cour relève :
- l’immeuble situé à Paris est détenu par la société CER, filiale à 100 % de la société FCER, elle-même détenue directement par la société Lafico, fonds souverain libyen, qui perçoit in fine les loyers sous forme de dividendes ;
- la banque BIA est détenue par l’Etat libyen et par l’Etat algérien ;
- les sociétés en cause sont exemptées du paiement de l’impôt ;
- le fait que l’Etat libyen détienne 100 % du capital de la LIA, détenant elle-même la totalité de celui de la société Lafico, détenant elle-même la totalité de celui de la société FCER, et ainsi de suite jusqu’à la société CER, « constitue une preuve supplémentaire de l’imbrication des patrimoines de ces différentes personnes morales, même si leurs statuts sont différents».
Le second critère ayant trait à la confusion des patrimoines est donc également rempli.
Au-delà de la confirmation d’une jurisprudence désormais classique sur les critères permettant de qualifier d’émanation d’un État étranger une entité distincte de cet État mais répondant des dettes de ce dernier, l’intérêt de l’arrêt réside dans les conditions auxquelles des mesures d’exécution peuvent être prises sur les avoirs d’une entité sous sanctions.
La Cour d’appel de Paris relève à cet égard que l’article 5 du règlement UE 2016/44 du 18 janvier 2016 ordonne un gel des avoirs de l’État libyen, que les sociétés CER et FCER sont « totalement dépendantes » de la LIA, qui est elle-même sous sanctions, et que l’arrêt de la CJUE du 11 novembre 2021 a dit pour droit « qu’un mécanisme de gel des fonds interdit toute mesure sur les fonds gelés sans autorisation de l’autorité nationale compétente ».
En l’espèce, les mesures d’exécution contestées ont été pratiquées sur des actifs gelés sans que l’autorisation de l’autorité compétente en France ait été obtenue ; la Cour d’appel de Paris ordonne donc leur mainlevée.
Référence : CA Paris, pole 1 ch. 10, 26 janvier 2023, n° 21-22374.