Le 19 juin 2024, la Cour de cassation a rendu un arrêt concernant l’indépendance et l’impartialité des arbitres, à la suite d’un arbitrage CCI relatif à un contrat de gestion et d’exploitation d’un terminal dans le port de Douala (Cameroun) conclu entre Douala International Terminal (« DIT ») et le Port Autonome de Douala (« PAD »)
Le tribunal arbitral, composé de trois arbitres, a rendu une sentence partielle défavorable au PAD Ce dernier a d’abord formé un recours en annulation contre la sentence partielle le 14 décembre 2020, puis introduit parallèlement auprès du secrétariat de la CCI une demande de récusation du président du tribunal arbitral fondée sur les termes de l’hommage funèbre que celui-ci avait rendu au à un praticien bien connu, conseil de DIT, publié peu de temps après son décès. Le président du tribunal y déclarait, entre autres, « admirer et aimer » le regretté praticien et le consulter « avant tout choix important », affirmant que le défunt « se livrait » à lui, « lui qui le faisait peu ». Le président du tribunal y ajoutait également, en lien avec la procédure d’arbitrage en question, qu’il « se réjouissait d’entendre à nouveau ses redoutables plaidoiries au couteau, où la précision et la hauteur de vue séduisaient bien plus encore que n’importe quel effet de manche ». Ces liens personnels n’avait fait l’objet d’aucune révélation préalable.
Le 10 janvier 2023, la Cour d’appel de Paris a annulé la sentence partielle sur le fondement de l’article 1520 2° du Code de procédure civile, jugeant que le tribunal avait été irrégulièrement constitué. En effet, la Cour d’appel de Paris a estimé que le texte de l’hommage funèbre faisait ressortir une connexion entre, d’une part, l’existence des liens personnels « étroits » au sens des recommandations et du règlement de la CCI entre le défunt et l’arbitre et, d’autre part, la procédure d’arbitrage que ce dernier présidait, de nature à créer un doute raisonnable dans l’esprit des parties quant à son indépendance et son impartialité.
Dans son arrêt daté du 19 juin 2024, la Cour de cassation a confirmé l’analyse de la Cour d’appel. La Cour de cassation a rappelé que de simples liens professionnels et académiques n’impliquent pas l’existence de relations professionnelles ou personnelles « étroites » et n’ont pas à être déclarés. La Cour de cassation a cependant jugé que le registre et certaines formules du texte publié par l’arbitre – au-delà de la part d’emphase et d’exagération propre à tout éloge funèbre – suggéraient « l’existence d’une relation amicale dont l’intensité dépassait le registre de la sociabilité universitaire ». En outre, en établissant une connexion avec l’arbitrage en cours, le texte était de nature à laisser penser que le président du tribunal arbitral pouvait ne pas être libre de son jugement et ainsi créer des doutes, à partir d’un fait objectif, dans l’esprit de PAD quant à son indépendance et son impartialité en raison de ses liens avec le conseil de DIT, de sorte que lesdits liens auraient dû être révélés afin de permettre aux parties d’exercer leur droit de récusation.
Référence : Cass. civ., 19 juin 2024, n° 23-10.972, (confirmation de CA Paris, pôle 5 ch. 16, 10 janvier 2023, n° 20/18330)