Une société a assigné une société spécialisée dans la distribution de cartes bancaires prépayées devant le Tribunal de commerce sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile aux fins de lui enjoindre de déposer et lui communiquer des pièces.
La seconde société a reconventionnellement invoqué l’existence d’une concurrence déloyale de la première, résultant du non-respect par celle-ci des règlementations bancaires en vigueur, et a demandé la communication d’une situation comptable certifiée conforme par le commissaire aux comptes sous astreinte.
Par un arrêt rendu le 31 juillet 2021, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a enjoint, sous astreinte, à la première société, demanderesse, de communiquer une situation comptable certifiée conforme par le commissaire eu compte ainsi que d’autres documents comptables.
La première société faisait grief à l’arrêt d’avoir tranché en ce sens alors que l’action en concurrence déloyale de la seconde société, basée sur le non-respect des règlementations en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, était vouée à l’échec et ne pouvait être susceptible de donner lieu à l’indemnisation d’un tiers.
C’est de manière assez surprenante que la Cour de cassation a décidé dans un arrêt rendu le 27 septembre 2023 que « [l]e respect par une entreprise des obligations imposées aux articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme engendre nécessairement pour elle des coûts supplémentaires. Il en résulte que le fait pour un concurrent de s’en affranchir confère à celui-ci un avantage concurrentiel indu, qui peut être constitutif d’une faute de concurrence déloyale ».
La Cour de cassation avait pourtant jugé dans un arrêt du 21 septembre 2022 que « [l]es obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016, ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme » et avait ainsi conclu que « la victime d’agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l’inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour réclamer des dommages-intérêts à l’organisme financier ».
Il ressort donc de ces deux arrêts que le non-respect des règlementations bancaires en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme par un établissement bancaire ne permet pas réparation du préjudice subi par la victime d’agissements frauduleux sur le terrain de la responsabilité civile, mais constitue néanmoins une faute de concurrence déloyale à l’égard de sociétés bancaires tierces.
Ces décisions s’inscrivent par ailleurs dans une problématique très actuelle dans un contexte où les particuliers procèdent plus souvent à des investissements, souvent en ligne et dans des domaines nouveaux comme les cryptomonnaies, et avec une recrudescence des escroqueries. Ce sujet est à nouveau scruté dans le dernier rapport de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) évaluant les pratiques des banques et établissements de crédit sur les années 2021 et 2022.
Incidemment, l’arrêt reprend une solution classique selon laquelle les décisions rendues sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile régissant les mesures d’instruction ordonnées in futurum doivent constater que la partie visée détient la ou les pièces concernées, ce qui exclut notamment que la demande porte sur un document à établir (ici une attestation du commissaire aux comptes).
Com., 27 septembre 2023, n°21-21.995