L’Espagne ne saurait se prévaloir des jurisprudences Achmea et Komstroy pour échapper à l’exécution d’une sentence CIRDI au Royaume-Uni.

Dans son arrêt du 24 mai 2023, la High Court of Justice Business and Property Courts Commercial Court (High Court) a refusé d’annuler une sentence arbitrale fondée sur le Traité sur la Charte de l’Energie (TCE) condamnant l’Espagne à payer 120 millions d’euros à l’investisseur européen Infrastructure Services Luxembourg et à sa filiale Energia Termosolar (anciennement Antin).

Le Tribunal arbitral avait rendu sa sentence en juin 2018, à la suite des réformes opérées par le gouvernement espagnol dans le secteur des énergies renouvelables. En juin 2021, un comité ad hoc CIRDI avait confirmé cette sentence dont l’existence a ensuite été reconnue par voie d’ordonnance au Royaume-Uni.

L’Espagne a immédiatement fait appel de ladite ordonnance. Dans le cadre de ce recours, l’Espagne invoquait notamment les décisions Achmea et Komstroy et plaidait qu’il n’existait ni consentement écrit de la part de l’Espagne de se soumettre à l’arbitrage sur la base du TCE, ni convention d’arbitrage valide. En se fondant sur le UK State Immunity Act (1978), l’Espagne entendait bénéficier d’une immunité d’exécution. Dans son arrêt du 24 mai 2023, la High Court a jugé que l’Espagne ne pouvait pas invoquer une immunité d’exécution, ayant signé la Convention CIRDI dont le consentement à l’arbitrage était incorporé dans le TCE. Le juge anglais a observé qu’il ne ressortait du TCE aucune disposition qui justifierait une situation dans laquelle l’offre d’arbitrage des États concernerait uniquement certains investisseurs (en l’occurrence les investisseurs en dehors de l’Union Européenne).

Selon la High Court, la CJUE n’est pas le juge ultime de la Convention CIRDI, ni du TCE et il existe, en l’espèce, un consentement écrit de l’État de se soumettre à l’arbitrage. La High Court a également écarté l’argument de la primauté du droit communautaire sur les traités internationaux.

Ainsi, la High Court a-t-elle consacré l’impossibilité pour l’Espagne de se fonder sur les jurisprudences Achmea et Komstroy pour s’opposer à l’exécution, en dehors de l’Union Européenne, d’une sentence CIRDI rendue sur la base du TCE dans le cadre d’un arbitrage d’investissement intra-européen.

Cet arrêt majeur s’inscrit dans la lignée des décisions rendues récemment aux États-Unis[1] et en Australie[2], et en application de la solution retenue par la Cour Suprême anglaise dans l’affaire Micula[3] : le droit communautaire ne saurait prévaloir sur les obligations découlant de traités internationaux, tels que la Convention CIRDI et le TCE en dehors de l’Union Européenne. L’incohérence qu’il consacre dans l’arbitrage d’investissement intra-communautaire (entre les arbitrages CIRDI et les autres et, parmi ceux-ci, entre ceux siégeant dans l’UE et ceux ayant leur siège hors du territoire de l’UE) ne contribue ni à la lisibilité ni à la prévisibilité de la matière.

Référence : Infrastructure Services Luxembourg et Energia Termosolar (anciennement Antin) c. Espagne, UK High Court of Justice, Commercial Court (KBD), [2023] EWHC 1226 (Comm), 24 mai 2023 

[1] NextEra Energy Global Goldings BV c. Espagne, jugement du US District Court for the district of Columbia, Civil Action No. 19-cv-01871 (TSC),15 février 2023; REN Holding c. Espagne, jugement du US District Court for the district of Columbia, Civil Action No. 19-cv-01871 (TSC), 15 février 2023.

[2] Espagne c. Infrastructure Services Luxembourg, jugement de la Cour suprême d’Australie, [2023] HCA 11, 12 avril 2023.

[3] Micula and others v. Romania, [2020] UKSC 5, jugement du UK Supreme Court, 19 février 2020.

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